Quelque chose bouge de Catherine Melin au Frac ne répond pas tout à fait à nos codes habituels d’exposition. Les œuvres résultent des rencontres et de ses voyages, sans pour autant que l’on expose celle-ci, ses rues, ses vies informelles, dans le confort d’un espace de culture occidentale. Ce sont plutôt des nœuds d’usages et de lieux, qui fleurissent dans l’exposition comme sur nos passages dans les rues de Marseille ; de ces rencontres impromptues qui balisent nos traversées de l’espace public, et offrent comme un banc pour s’asseoir, un pont pour s’abriter, une esplanade pour s’amuser, des moments où le corps se prend à contempler, s’éprouver, se poser.
Ce n’est pas tout à fait une installation non plus, mais un aménagement provisoire : les chariots, les cerfs-volants se déplacent, rien n’est fait pour demeurer tout à fait. C’est plutôt, dans le temps donné in situ à Catherine Melin, un déploiement – parmi d’autres possibles – de ce processus d’envahissement et de désassemblement permanent par lequel les objets, les toiles de sacs et le mobilier urbain se répandent dans le Frac, comme une occupation provisoire. C’est un bivouac en forme d’atelier dans lequel se repose un instant la pratique nomade de Catherine Melin, avant de lever les voiles et courir de nouveau les rues ; une configuration d’équilibre tenue quelque temps, bientôt dispersée vers d’autres formes, ailleurs.
Dans cet état de concentration et d’assise, de flottement doux et de mouvements dansants des pièces, les choses reposent dans une disponibilité qui nous gagne ; nous ne sommes pas spectateur.ice, pas visiteur.ice, mais passant.e, et public au sens que l’espace publique confère à cette présence partagée. Mobiles dans l’exposition, nous faisons bouger les lignes et les perspectives, et celles de nos attentes, des usages machinaux que nous faisons des lieux et des choses.
Mobilier urbain, zones de passages, périphéries des villes ; chaises glanées dans la rue, cassées, chariots de transports, sacs industriels, s’assemblent le temps de faire œuvre avant de regagner leur hétérogénéité première. Ce ne sont pas des ready-made, mais quelques-unes parmi l’infinité de combinaisons possibles offertes par la rue, dont nous sommes la plupart du temps privés de contempler les apparitions par les rythmes pressés de la vie. Il n’y a rien de privé pourtant, ni de pressé aux sacs et ressacs des objets laissés par l’usage à l’usage de tous, usagés et réemployables à l’infini : il n’y a qu’une création commune.
À nous de revenir sur nos pas, et découvrir que notre trajet n’est jamais un passage sans incidences ; que nous déplaçons toujours des choses autour de nous, offertes et laissées par d’autres. Une véritable création a lieu dans les périphéries de nos quotidiens, tissée de micro-événements parfois si furtifs que l’on pourrait manquer d’y prêter attention. Mais ce sont des brèches, des ouvertures, des échappées, contre le rétrécissement des usages, les préconceptions et les planifications étroites ; il faut s’y engouffrer pour ouvrir des espaces nouveaux, où le dysfonctionnel se peut recycler en praticable, et habitable ; où demeurer un instant avant de continuer.
L’exposition monographique de Catherine Melin au Frac a été pensée et construite en partenariat avec le Bel Ordinaire à Billère, près de Pau où se déroulait l’exposition Bruissements du dehors en 2018, et avec la galerie Fernand Léger à Ivry-sur-Seine qui présentait l’exposition Inclinaisons et autres pentes en 2020. Elle donnera également suite à une exposition personnelle au Frac Picardie.